LES ECHOS datés du 29 mai publient une analyse complète du rôle des DRH dans les opérations de fusions-acquisitions. D'expérience sur 15 ans, l'intervention des DRH est loin d'être systématique. C'est un défaut auquel il faudrait remédier sous condition de disposer de professionnels formés aux Due Diligence, ce qui concernant les français, est loin de représenter une majorité. Disposer de professionnels RH compétents en relations IRP et droit du travail tout en ayant une vision concrète de la stratégie d'entreprise, c'est probablement un des objectifs de la transformation du métier de DRH intéressant tant ceux en poste que la prochaine génération. A lire :
Associer les directions des ressources humaines au processus de décision lors d'une fusion ou d'une acquisition est le meilleur moyen d'apaiser les risques de conflits sociaux. Ou d'identifier d'éventuels avantages acquis financièrement lourds à supporter par l'acquéreur. Les PDG admettent de plus en plus cette réalité et commencent à consulter leur DRH très en amont d'une opération, surtout dans les entreprises de taille moyenne. Des progrès mais peut mieux faire. Cela résume bien l'implication des directions des ressources humaines lors de fusions ou d'acquisitions. « Il y a dix ans, le principe n'était même pas évoqué. On faisait appel à la DRH à l'issue de l'opération. Aujourd'hui, une partie des directions d'entreprise l'associe en amont, car elles ont pris conscience que le facteur humain était déterminant dans la réussite d'un rapprochement », constate Jérôme Croizat-Viallet, DRH de Brit Air, la filiale régionale d'Air France-KLM. « Dans le cas d'acquisitions d'entreprises de petites tailles, les DRH sont souvent aux côtés des financiers », précise Philippe Poincloux, directeur général France du cabinet Towers Perrin. L'exemple de l'entreprise vendéenne VM Matériaux, dans le secteur du bâtiment, confirme ce constat : « Notre DRH siège au directoire. Il est donc partie prenante de tous les dossiers de croissance externe, et son rôle d'analyse est essentiel dans nos choix », indique Philippe Audureau, le PDG de cette grosse PME de 2.500 personnes. Et de se souvenir de deux ou trois dossiers où le DRH a décrit « un environnement social qui nous faisait prendre trop de risques et qui nous a dissuadés ».
Mais c'est aussi vrai dans les grands groupes. Lorsque Saint-Gobain a lancé son OPA sur le britannique BPB, la direction RH a été associée « dès le début du processus, avec l'objectif de réussir très vite une fertilisation croisée par des mouvements de personnes », souligne Jean-Louis Colin, DRH du pôle produits pour la construction.
Autre preuve de cette évolution : le cas de l'OPA de Mittal sur Arcelor qui s'est faite, y compris dans sa première phase hostile, avec l'implication directe d'Inder Walia, patron de la DRH du nouveau groupe, après avoir été DRH du sidérurgiste indien Mittal. « Nous sommes habitués à faire des fusions et nous avons toujours discuté, entre hauts dirigeants, de leurs conséquences humaines avant de les conclure », explique ce membre de la direction d'Arcelor Mittal.
Trois niveaux d'implication
Une enquête du cabinet Hewitt auprès d'une soixantaine de grands groupes européens (voir interview ci-dessous) montre que 70 % des patrons interrogés placent les risques liés au capital humain en troisième position en termes d'importance, derrière la non-conformité réglementaire et les risques opérationnels. Pour Pierre-Yves Poulain, délégué général de l'ANDCP (Association nationale des directeurs et cadres de la fonction personnel), trois niveaux d'implication du DRH peuvent être distingués : « Tout ce qui touche au passif social de l'entreprise achetée est regardé de très près et intégré aux différents coûts de la fusion. Sur ce point, l'avis du DRH est très écouté, car on touche à la dimension financière de la fusion ou de l'acquisition ; de même, sur la recomposition des effectifs pour éviter les doublons et faire des économies d'échelle. En revanche, le troisième niveau, qui porte sur la qualité du management et la capacité à conserver les talents, est moins maîtrisé car il s'agit de facteurs immatériels difficiles à quantifier de manière précise. »
Les pratiques varient néanmoins suivant la nature de l'opération et le secteur concerné. Chez Sage, société d'édition de logiciels de gestion d'entreprises, qui depuis 2003 a procédé à 9 acquisitions, Laure Pourageaud, DRH France, considère qu'elle n'a pas besoin d'être associée aux négociations financières. En revanche, dès la conclusion d'un accord, elle rencontre les instances représentatives du personnel et certains cadres pour évoquer les questions de formation, l'intégration des nouveaux venus, leur adhésion à la culture d'entreprise. Participant à l'audit, elle alerte la direction sur les points de vigilance à prendre en compte : régime des retraites, avantages sociaux, dispositions en matière de formation ou aspects juridiques des contrats. « Je fais régulièrement le tour de nos 22 sites pour expliquer la culture de notre entreprise. Après un rapprochement, j'ai de nombreux contacts avec les nouveaux partenaires. Il faut à la fois respecter leur savoir-faire et les faire adhérer à leur nouvelle entité. » Sans cela, les meilleurs éléments sont susceptibles de passer à la concurrence ; un risque d'autant plus dommageable que le principal actif de la société rachetée tient dans ses « cerveaux ». « Pour retenir les talents, les DRH ont intérêt à saisir cette opportunité de changement pour moderniser leur process, améliorer les systèmes de rémunérations ou repenser les relations sociales dans la nouvelle entité », poursuit Philippe Poincloux.
Radicalisation des positions
Car les relations sociales sont un autre facteur de risque important. La crainte de l'équation « rapprochement égale licenciement » peut entraîner une radicalisation des positions, comme c'est actuellement le cas chez les 12.000 salariés français du groupe Alcatel-Lucent. Suite à la fusion, près de 1.500 postes en France vont disparaître et 12.500 dans le monde. « Après une OPA, il faut tout de suite informer de nos intentions. Les trois premiers mois sont une période cruciale », analyse Inder Walia, qui insiste sur la nécessité « de faire travailler tout le monde ensemble, de montrer son aptitude à respecter et comprendre la culture de la société dont on prend le contrôle ». La DRH d'Arcelor Mittal a multiplié les séminaires, forums, rencontres, échanges entre les cadres dirigeants des deux entités. Dans cette équipe, deux membres ne s'occupent que des conséquences humaines du rapprochement et, ces jours-ci, une grande convention réunit, à Cannes, 500 cadres dirigeants « pour les impliquer et leur faire partager la vision du nouveau groupe », note le DRH de Mittal. La direction d'Alcatel-Lucent rappelle aussi avoir, très en amont, impliqué la DRH afin d'expliquer le sens de cette fusion. Une démarche facilitée par le fait que Claire Pédini, DRH et responsable de la communication, fait partie des cinq membres du comité directeur sous la houlette de Patricia Russo. Mais groupes de travail et organes de concertation sont de peu de poids quand la pilule à avaler est grosse de milliers de licenciements.
Quel que soit le degré d'implication du DRH, « et même dans les entreprises qui accordent une importance de premier plan à la dimension sociale, les PDG n'en font pas encore une priorité dans le pilotage d'une fusion », concède Pascale Portères, directrice chez BPI. Le cas du rapprochement Sagem-Snecma, pour créer Safran, en est une malheureuse illustration. « Les DRH ont été mises devant le fait accompli et rien n'a été fait pour créer une nouvelle culture. Au départ, il n'y a eu aucun brassage entre Sagem et Snecma », constate avec regret un syndicaliste du groupe, qui souligne « les grandes disparités de salaires, de congés, de statuts » encore existantes aujourd'hui. « On a demandé aux DRH d'accompagner le dossier, de faire remonter à la direction le ressenti des salariés, d'alerter sur les conséquences sur les bassins d'emploi. Bref de gérer la crise », poursuit un autre interlocuteur interne, qui avoue « ne pas être certain qu'une association des DRH, dès l'origine du projet, aurait épargné les difficultés, sauf à annuler le projet ». Un sujet sur lequel la direction des ressources humaines de l'entreprise n'a pas voulu s'exprimer.
Si le facteur humain n'est qu'un des paramètres dans la réussite d'une fusion, « il s'agit cependant d'un des éléments essentiels pour éviter l'échec », rappelle Pascale Portères. Un sentiment partagé par Philippe Audureau, patron de VM Matériaux, qui se fait un point d'honneur à diriger « une entreprise qui sait acheter sans licencier » et pour qui « toute fusion ou acquisition prépare la prochaine opération ». Dans ce domaine, une des règles de la réussite est aussi de savoir tirer les enseignements du passé.
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