Que faut-il penser du décret portant sur les dispositions limitant la rémunération des dirigeants ? Réaction efficace aux excès, gages donnés à l'opinion publique, coup d'épée dans l'eau ? :
L'article 1 indique que sont concernées d'une part les entreprises privées (six grandes banques françaises) au sein desquelles l'Etat est entré ou va entrer via sa société de prises de participation, et d'autre part les constructeurs automobiles français, qui ont bénéficié des prêts de l'Etat. Mais il ne semble pas que les filiales de ces groupes, qui n'ont pas directement reçu d'aides, soient concernées. On peut ainsi imaginer que certaines primes puissent, à l'avenir, être versées par leur intermédiaire aux dirigeants des maisons-mères pourvu qu'ils figurent dans l'organigramme. On note enfin que les nombreuses entreprises qui bénéficient d'aides de l'Etat pour indemniser leurs salariés au chômage partiel ne sont pas visées.
L'article 2 prévoit que ces différentes entreprises s'engagent, dans leur convention signée avec l'Etat, à s'interdire d'accorder à leurs très hauts dirigeants – mais pas à l'ensemble de leur comité exécutif, par exemple le directeur France ou le directeur commercial – des stock-options et des actions gratuites.
Quant aux bonus, ils sont autorisés à condition d'être revus chaque année par le conseil d'administration ou de surveillance et fixés en fonction de critères de performance établis précédémment, et non liés au cours de la Bourse. Actuellement, on considère que près de la moitié des bonus des très hauts dirigeants d'entreprises françaises sont attribués de façon discrétionnaire, sans critères, et qu'une partie des autres prennent en considération le cours de l'action. Le conseil d'administration sera tenu d'annoncer publiquement qu'il autorise les bonus – un signe que le gouvernement compte sur la pression de l'opinion publique pour moraliser les pratiques – mais le texte ne stipule pas clairement que les critères fixés seront également divulgués. Enfin, les bonus ne devront pas être versés en cas de "licenciements de forte ampleur", une expression très vague, qui laisse augurer des négociations au cas par cas entre le gouvernement et les entreprises. Les parachutes dorés et autres indemnités de rupture de contrat ne sont pas visés, de même que les retraites surcomplémentaires.
L'article 3 oblige les entreprises concernées à attester auprès de la ministre de l'économie qu'elles respectent le décret. Mais aucune mesure de rétorsion n'est prévue en cas de manquement. On sent bien que le gouvernement ne veut pas prendre des mesures trop contraignantes à l'égard des dirigeants, dont il a besoin pour relancer l'économie, et ne veut pas prendre le risque d'une délocalisation des états-majors qui impliquerait un grand manque à gagner fiscal.
Les articles 4 et 5 concernent les entreprises publiques, par exemple France Télécom, GDF ou France Télévisions, qui emploient quelque 4 % des salariés français. Celles-ci sont appelées à "respecter des règles et principes de gouvernance d'un haut niveau d'exigence éthique", avec quelques précisions : un patron ne pourra plus bénéficier du statut de salarié (qui implique qu'il puisse bénéficier d'indemnités de licenciement), comme préconisé par le récentcode de bonne conduite AFEP-Medef. Les bonus sont autorisés selon les mêmes principes qu'à l'article 2, sauf que les critères de performance et de progrès doivent être "précis" et que les licenciements ne sont pas un obstacle. En revanche, les indemnités de départ sont cette fois encadrées : d'un montant inférieur à deux années de rémunération, elles ne seront versées qu'en cas de départ contraint (à la différence de certains parachutes dorés). Elles ne seront pas dues en cas de "difficultés économiques graves" de l'entreprise : là encore, le flou de la formule permet une certaine marge d'interprétation...
L'article 6, formulé de façon très prudente, ressemble plutôt à une invitation faite au Fonds stratégique d'investissement (créé fin 2008 par Nicolas Sarkozy pour soutenir les entreprises françaises) à "prendre en compte" dans ses choix le respect des règles et principes fixés aux entreprises publiques.
L'article 7 prévoit que le décret s'applique jusqu'à fin 2010. Une telle limitation de durée a déjà été utilisée par le gouvernement Fillon pour "tester" des dispositifs. Mais il apparaît qu'il souhaite cette fois se cantonner au provisoire.
Enfin, comme pour de nombreux décrets, un rapport sur ses conditions d'application est prévu. Mais rien n'oblige Bercy à le réaliser.
Analyse reprise à partir des documents du journal Le Monde