Alors comme ça, le «principal dirigeant et propriétaire» de LVMH aurait introduit une demande auprès des autorités belges afin d’en acquérir la nationalité, dans le but d’échapper au «nouvel impôt français à 75%» que le gouvernement actuel mettra prochainement en oeuvre pour les plus hauts revenus salariaux, dit-on dans le cadre de sa «réforme fiscale» annoncée au moment de la campagne présidentielle de janvier à mai dernier, réforme dont on peine à cerner les contours, hors de cette «disposition phare».
Alors comme ça, il a été récemment reçu par le Premier Ministre pour lui faire part de son opinion et des conséquences de la création d’un taux marginal de 75% de l’IR et de ses conséquences sur sa résidence. (1) Si ce projet allait à son terme, l’intéressé deviendrait en Bruxellois des quartiers chics un SDF, c’est-à-dire comme plusieurs dizaines de milliers de foyers, un Sans Difficultés Financières, comme on les appelle à 1h20 de Paris. Il deviendrait même le plus SDF des SDF, cependant, du chemin reste à parcourir, au delà des 320 kilomètres qui séparent Paris de Bruxelles.
L’encre des dispositions définissant cette tranche ultime de l’impôt sur le revenu (75%) n’est pas encore sèche, elle n’est même pas sortie du stylo du ministre du budget et des imprimantes de ses services, ces dispositions n’ont pas encore été présentées devant le parlement et subi les «navettes» traditionnelles, quoiqu’une assemblée et un sénat bénéficiant de la même majorité, celle de l’exécutif, pouvant grandement servir à limiter le nombre des aller-retours entre les deux chambres législatives.
Et si d’ailleurs le gouvernement pouvait s’affranchir de l’intervention législative, la voie réglementaire et le décret seraient suffisants; mais l’intervention du politique devant deux chambres acquises peut aussi être considéré par l’exécutif comme un point de passage obligé pour renforcer la légitimité de ces dispositions fort critiquées, plus encore pour ceux qui les promeuvent comme «instrument de justice sociale», sauf pour certains sportifs et artistes.
(Et là, Bernard Arnault comme bien des contribuables peut vivement regretter de pas avoir pris l’option «sport-études» section foot plutôt que d’être ancien élève de l’X. Ados en terminale, n’écoutez plus vos parents anxieux et anxiogènes qui vous bassinent avec l’excellence, le choix d’une filière l’année prochaine et les 6 à 10 années suivantes, la crise, la prépa, le travail 24/7/365, laissez pousser votre brosse personnelle dans vos 2 mains, a fortiori si vous courez vite avec un ballon)
On croit déjà lire le slogan de la fédération française de football cherchant à redorer le blason de son métier-clé, vaguement écorné ces dernières années par des histoires d’autocar à l’étranger, d’arrêt de travail spontané, de mots qui ont pu dépasser leur ... pensée, de chewing-gum pendant la marseillaise, d’accortes escortes... En 4x3 sur les murs du métro de Paris et tous les culs de bus de la RATP : «Footballeur : un métier de niche (fiscale), un métier de riche», grâce aux 75%, le nouveau nombre magique !
Les micro-trottoirs réalisés ces derniers jours démontrent que l’impôt est un sujet trop important pour être laissé aux seuls politiques, relisez Arthur Laffer et sa courbe qui a tant fait pour expliquer, comme par prémonition, les effets de la tranche à 75% : puisque le déficit de pédagogie (on attend de pied ferme ... les explications du président Hollande dimanche soir, enfin on peut sembler leur accorder un certain crédit à débiter au fur et à mesure du discours) serait l’explication unique des réactions caricaturales entendues ça et là :
Opinion N° 1 : François Fillion et sa famille politique : «on saura maintenant partout dans le monde que les entrepreneurs qui réussissent en France sont pénalisés, et qu’il vaut mieux entreprendre ailleurs». Soit 1/4 des réactions trottoir. C’est le classique «Attention, les ratés ne vous rateront pas» à la sauce «je suis tombé de scooter, le temps est long avec mes cannes, et dans ma lutte à mort pour la direction de la boite, l’UMP, je dois rester visible. Il vaut mieux dire une bêtise et la démentir (ça fait deux communiqués) que de se taire jusqu’à avoir trouvé un truc vraiment intéressant à dire.
Au risque de choquer les lecteurs qui croient plus en la politique que dans les chiffres de l’économie et de la comptabilité nationale, les prélèvements ont beaucoup augmenté sous la mandature précédente (2007-2012) et, n’en déplaise à ces libéraux de la 25ème heure, il est injuste, fallacieux, voire mensonger de prétendre que les 5 dernières années ont été faites d’un lit de pétales de roses pour les entrepreneurs.
A moins d’avoir été restaurateur, enfin assembleur de nourritures terrestres, et on conserve l’espoir de connaître un jour la motivation du fantastique régime de faveur qui leur a été accordé, alors que les portions ont réduit et pas qu’à la cuisson, les additions augmenté, malgré la réduction de la TVA, on gardera à l’esprit que cette réduction de taxes a finalement été financée par tous les contribuables, mangeant au restaurant ou autour de la table de salle à manger avec leur soupière. Plus rien à voir avec l’accroche de ce post, mais la fiscalité à des raisons que la raison ignore ...
En clair, il est plus facile d’adhérer aux déclarations de l’ex PM en se trouvant dans l’opposition qu’aux manettes, surtout auprès d’une opinion plus alerte sur les déclarations politiques que sur les faits économiques. Non, la gauche n’est pas mauvaise gestionnaire par nature et la droite naturellement dotée de super-pouvoirs permettant de limiter les effets d’une crise économique, financière et sociale (et politique) sans précédent. et inversement, la gauche est en train de démontrer que l’art de la présentation reste par les difficiles temps qui courent un art mineur.
Opinion N°2 : «Bernard Arnault a bien raison, moi je suis au SMIC mais si je pouvais le faire, je le ferais car on paye toujours trop pour remplir un trou sans fond». Ou comment faire se rencontrer le tonneau des danaïdes et le mythe de Sisyphe. 1/4 des réactions trottoir. Dans la série «j’ai pas tout compris» mais «ces politiques nous tondent», une bonne bouffée d’antiparlementarisme est toujours d’actualité en France et on a le sentiment que le pouvoir exécutif et législatif ne sont jamais assez inquiets du temps passé à scier les branches sur lesquels ils sont établis. Or sans représentation nationale légitime, on connaît la suite.
Opinion N°3 : "j’y comprends rien, c’est des affaires de riches et fichez-moi la paix», soit plus de 50% des réactions «trottoir». Et c’est là qu’Intelfi peut/doit faire oeuvre de pédagogie, comme ça sera le cas lors de mon prochain cours au Celsa-Sorbonne en Master 2. En 7 années de cours sur «l’international», le contexte a complètement changé, mon cours aussi, et seul la demande des étudiants principalement alimentés par Itélé et BFM, donc dans l’instantanéité, nécessite d’être complétée, par exemple par les questions suivantes :
1 - Alors comme ça, il suffirait d’être belge pour payer moins d’impôts :
Tous au consulat !
Bonne histoire, mais c’est faux.
2 - Mais alors pourquoi Bernard Arnault dont on peut présumer qu’il est bien conseillé (pas par Intelfi), semble si intéressé par la Belgique et sa citoyenneté ?
Parce que les administrations fiscales sont en concurrence, comme n’importe quel boutiquier, a fortiori à moins de 2 heures de train de Paris. Et que la 1ère fortune de France, 4ème d’Europe et 11 ème mondiale (That’s it !) génère tant d’impôts (le pluriel a vraiment sont importance, tant l’impôt sur le revenu ici en question n’est pas le centre du débat, on le démontrera ci-dessous), que ce contribuable aux patrimoines et revenus exceptionnels est chéri pour devenir résident d’un autre état et y acquitter ses impôts, taxes et charges.
3 - Est-il obligatoire d’avoir la nationalité pour payer l’impôt en Belgique ?
Absolument pas, il suffit d’y résider quelle que soit sa nationalité, suivant les critères de détermination de la résidence en vigueur. Et la nationalité ne présume pas l’acquittement de l’impôt en Belgique, qui comme tout état, compte des non-résidents.
4 - Suffit-il d’être résident de la Belgique pour y acquitter un impôt moins important qu’en France :
Absolument pas, la somme impôts + charges Belgique étant tendanciellement plus élevée qu’en France
5 - Mais alors, ce M. Arnault ne se trompe t-il pas ? Quelle «mouche l’aurait piqué» s’il n’y trouvait pas son intérêt ?
Et bien il y trouverait son intérêt s’il réussissait à bénéficier du «régime des quartiers généraux» et du régime des «impatriés», dans le second cas, qui nécessite de disposer de la nationalité belqe, et qui permet, on y arrive, une imposition dérogatoire et moins élevée que celle perçue de plein droit, celle des résidents belges.
Et on peut même lire dans l’avenir, avec une dose de technicité fiscale et une dose de mauvais esprit mais de justesse aussi, puisque la France dispose elle aussi de ces deux régimes fiscaux dérogatoires. Ainsi, si l’intéressé conservait sa nationalité française en même temps que sa nationalité belge acquise, ce qui est loin d’être évident à ce jour, un retour en France dans plus de 5 années, en termes de «résidence», lui permettrait alors de bénéficier d’un régime fiscal dérogatoire en France, à impôt réduit par rapport à celui qu’il acquitte aujourd’hui, ceteris paribus comme les économistes un peu anciens l’écrivent.
A ce stade, je comprendrais que vous soyez perdu(e)s, mais c’est assurément la motivation de cet aller vers la Belgique, voire de sa phase II (retour en France) d’ici quelques années permettant de bénéficier de la concurrence entre administrations fiscales, les «gros clients» étant comme partout mieux considérés que les «petits».
6 - Et qu’a t-il à y gagner par rapport à l’IR à 75%
Et bien a priori pas tant que cela puisqu’à ce niveau de fortune et de responsabilités, le dirigeant propriétaire n’a pas a priori besoin d’un salaire mensuel élevé (ses problèmes de trésorerie sont réglés et ses fins de moins ne débutent pas le 15) et peut parfaitement échapper déjà dans le barème de l’impôt sur le revenu actuellement en vigueur aux tranches marginales les plus élevées, en se rémunérant annuellement en dividendes, dont l’imposition et l’assujettissement aux charges sociales a beaucoup progressé depuis 10 ans en France, mais reste moins élevé que la «taxation» globale des salaires.
Le meilleur exemple de ce processus ne date pas d’aujourd’hui, puisque l’exemple en avait été révélé par le Canard Enchaîné dans les années 1970, et non démenti par Marcel Dassault, qui ne percevait pas de salaire en tant que fondateur, président et dirigeant de MDBA (Marcel Dassault Bréguet Aviation) mais des dividendes, à l’époque quasiment non imposés, mais été rémunéré en salaire, 500 francs par mois (pas une fortune même à l’époque) comme «rédacteur en chef» de Jours de France, «l’hebdomadaire de l’actualité heureuse», à l’époque de la croissance à 2 chiffres et d’une France à 400 000 chômeurs.
En résumé, partir au pays de Tintin ne permet pas d’échapper à cette nouvelle méga tranche d’IR si on se rémunère comme un dirigeant le fait depuis des décennies.
«Sauf que» la réalité est toute différente puisque Bernard Arnault a perçu au titre de l’année civile écoulée 10,7 millions d’Euros au titre de ses salaires fixes et autres avantages à caractère de rémunération. Il ne pratique donc pas une optimisation forcenée de sa rémunération, puisque les 10 millions et quelques offrent un «profil» fiscal et social large, en clair, ils génèrent beaucoup d’impôts et de charges, et beaucoup plus que les choix d’optimisation auxquels il aurait pu procéder, notamment par des «splits», des dividendes plus importants et tout autre moyen moins coûteux en prélèvements divers, à iso-rémunération.
Ca n’a pas été son choix jusqu’à présent, c’est très certainement en parfaite conscience des différentes possibilités que ces choix ont été faits, et il y a même un certain «patriotisme économique» à avoir procédé ainsi. On comprend alors mieux le ras-le-bol de l’intéressé et ses «désirs d’avenir» hors de France.
7 - Et pourquoi l’a t-il fait savoir, ces questions étant habituellement dans notre culture judéo-chrétienne plutôt traitées avec une grande discrétion ?
Parce qu’il arrive que les administrations, dans un réflexe quasi commercial, cherchent à retenir un contribuable et négocient un «ruling» permettant au résident de le rester, en contrepartie d’une réduction de l’impôt. On rentre alors dans le «super qualitatif» et un éventuel accord est par définition trouvé de gré à gré. Comme dans toute négociation, tout dépend du rapport de forces entre les deux parties.
Dans ce contexte, faire savoir qu’on envisage de se «délocaliser» personnellement tout en niant délocaliser ses activités et les emplois liés est de bonne tactique pour débuter une négociation qui n’aurait pas été suffisamment ouverte ou rapide au cours des mois précédents, alors qu’elle était encore placée sous le sceau de la confidentialité. Peu de chances en tout cas pour que ce projet de délocalisation personnelle date de sa récente annonce dans la presse.
8 - Quelles sont ses chances de succès ?
De 70 à 100%, dès lors que les hypothèses «rester en France à prix d’ami», comme un footballeur ou bénéficier du régime des QG belges et des impatriés sont bien réelles et que la seconde peut servir de moyen de pression pour faire (ré) fléchir un gouvernement dont on verra, à cette occasion, s’il est dogmatique (vous voulez partir, eh bien vous connaissez le chemin, ou pragmatique, autant conserver ce contribuable, ses activités et des emplois quitte à lui donner gain de cause sur certaines de ses demandes). L’auteur de ce blog s’interdit de prendre position ... et choisit clairement ce qui sera la face nord du gouvernement, les grandes Jorasses du ministère du Budget, le couloir Wimper de Pierre Moscovici, le pragmatisme. Après tout, ne pas mordre la main qui vous nourrit est une règle élémentaire de politesse, et les impôts et taxes acquittés par l’intéressé représentent plusieurs décennies de salaires gouvernementaux annuels, réduits de 30% ou pas.
9 - Pourquoi maintenant plutôt qu’il y a 5 ou 10 ans, ou plus tard ?
Sur la motivation strictement fiscale, l’imposition globale est, avant la mise en oeuvre de la tranche d’IR à 75% dont on a vu ci-dessus qu’elle ne devrait toucher ce type de contribuable que de manière marginale», plutôt moins élevée pour des groupes de ce type qu’avant la mise en oeuvre des «dispositions Copé» sur l’imposition des Holdings. Cela conduit à s’interroger sur le déclencheur et la motivation de fond. Le plus souvent, un projet de départ est mûrement réfléchi et la motivation affichée (financière, économique et fiscale) n’est pas nécessairement celle qui préside à sa mise en oeuvre effective. Il semblerait qu’avec un profil de rémunération tel que celui de l’intéressé, un effet «ras-le-bol» puisse constituer une motivation plausible de ces entretiens au plus haut niveau, décisions plus ou moins annoncées, prises et (pas encore) mises en oeuvre.
10 - Des emplois vont-il être supprimés ?
Pas nécessairement si l’on parle de l’imposition du dirigeant à titre personnel. A priori, le transfert de personnel de production en Belgique n’aurait pas de sens pour cette industrie dont une partie importante du «Goodwill» tient à la mention «Made in France». Le Groupe titre ses performances de la croissance asiatique et il suffit de se promener à Shanghaï pour voir à (presque) chaque coin de rue une boutique d’une des enseignes du Groupe.
Quant à la délocalisation du comité exécutif, elle est beaucoup plus envisageable; peu de salariés concernés, mais une masse financière des 10 premières rémunérations telles que publiées annuellement qui peut donner envie dans le cadre du bénéfice du régime des QG de bénéficier d’allègements de charges et fiscaux (on les appelle les résidents-non résidents). Quant au régime réservé au citoyens belges, on voit mal les membres du COEX introduire comme leur président le fait, une demande individuelle pour acquérir la citoyenneté belge.
En résumé, même à ce niveau, il y a des super-privilèges réservés au dirigeant et d’autres avantages moins intéressants. Voir sur ce sujet l’exemple de Schneider dont le président a pris la décision il y a quelques années déjà de résider avec ses principaux collaborateurs en Asie, pour des raisons probablement différentes de celles qui animent le projet sujet de ce post.
11 - Et ce M. Frère ?
Et l’air du temps favorise des théories plus ou moins fumeuses évaporées et/ou complotistes. D’après certains organes de presse, cette demande de nationalité résiderait dans la volonté de l’intéressé de se rapprocher au plus près d’Albert Frère avec qui les activités et participations sont intensément croisées.
Et pourquoi pas puisque ceux qui se délocalisent sont bien plus souvent animés par une motivation stratégique et/ou personnelle que par des calculs d’optimisation fiscale personnelle pure. Auquel cas, la France serait pour l’intéressé devenue à tort ou à raison le pays symbole des mauvais traitements fiscaux supplémentaires au regard de son poids économique et social. La motivation du départ à l’étranger, enfin en «grande banlieue» sans ses inconvénients, serait clairement punitive et dissuasive pour l’état, son budget et ses recettes, qu’une question économique, fiscale ou financière.
Qui vivra verra et certainement bientôt, comprendra. En savoir plus : Jacques-Olivier Meyer, Intelfi, +33.1.47.56.11.81 • jomeyer(at)intelfi.com