Et bien quitte à apparaître comme étant un visionnaire ... après coup, le résultat de cette votation restreignant le droit d'immigration en Confédération Helvétique (CH) en introduisant des quota par nationalité n'est pas plus surprenante que cela. 19 000 voix sur près de 3 millions, un "OUI" provenant en grande partie des cantons germanophones et alémaniques, un "NON" de la Suisse Romande et Italianophone, les grands équilibres politiques de la confédération tels qu'on peut les suivre depuis une décennie sont cohérents, à défaut d'être logiques et à longue portée économique et commerciale. La CH a elle aussi son "complexe d'invasion", malgré son "besoin d'Europe".
En effet, si la CH n'appartient pas à l'Europe politique, elle en a quasiment, excepté la monnaie (et qu'il est important de garder le privilège de la battre !), tous les atours et caractéristiques. La CH est signataire depuis près de 40 ans de presque tous les textes importants conclus par les membres de l'UE et on peut considérer, de facto, qu'elle est membre de l'UE, plus qu'à la façon "Canada Dry", et d'ailleurs avec une assez grande discrétion dans le pays même.
La situation de l'emploi en CH justifierait-elle la mise en oeuvre de cette décision, dont les contours restent malgré tout flous, puisqu'on n'en connaît pas la granulométrie, plus simplement, les emplois non qualifiés vont-ils être réservés aux "nationaux suisses", ou cette décision va t-elle toucher tous les emplois avec lesquels les "étrangers" seraient en concurrence avec des citoyens suisses ? Existe t'il vraiment un péril européen pour la CH ? Suivant les indicateurs et la bonne foi extensible de leurs fabricants, il y a en CH environ 2 millions de non suisses pour 8 millions d'habitants, soit m'indique ma fille qui sort du primaire 25%. Le taux de chômage est revenu depuis plusieurs années à 3%, soit un peu plus que le chômage frictionnel, après une decennie 1992/2002 qui l'avait vu doubler, sans qu'alors, des mesures de restriction de l'immigration ne soient adoptées.
Rappelons quand même l'origine de cette votation. Un petit parti situé à la droite de la droite s'en prend depuis des années aux "étrangers" et notamment aux frontaliers qui, selon lui, profitent du privilège d'être rémunérés en CHF tout en vivant en France, soi-disant avec un surplus de pouvoir d'achat important du fait de leur localisation en France, et tout en "prenant leur job" à des citoyens suisses. La vérité est un peu plus complexe, puisque concernant les emplois non qualifiés ou faiblement qualifiés, comme dans tous les pays à revenu élevé, et la Suisse n'est pas une exception, les locaux ne sont pas candidats au ramassage des poubelles, et à toute tâche de base de facto considérée comme "réservée" à des populations autres. C'est l'immigration qui pourvoit à ce besoin d'emplois peu ou pas qualifiés, qui permettent à la Suisse de voir son secteur des services aux collectivités de fonctionner.
Pour ce qui concerne les fonctions qualifiées et hautement qualifiées, la réforme du secteur financier en cours depuis des années en Suisse, qui n'est pas terminée, conduit un certain nombre de responsables à se trouver ou à anticiper de se trouver en position de recherche d'emploi, ce qui est inédit pour la plupart des suisses travaillant dans ce secteur où l'on a toujours fait carrière. De là à constituer une valeur statistique importante faisant "exploser" le chômage, il y a un très grand pas qui ne justifierait en rien l'adoption à marche forcée des dispositions votées hier.
Quant à la "jalousie" à l'égard des frontaliers, véritable fond de commerce du parti à l'initiative de cette votation, elle n'est pas justifiée dès lors qu'on cherche un appartement ou que la ménagère va remplir son panier dans la bande frontalière, puisque les commerçants au sens large ont depuis longtemps adapté leurs tarifs à cette population disposant d'un pouvoir d'achat supérieur aux français non rémunérés par des entreprises suisses en CHF. Se loger à Annecy et y faire ses courses peut coûter plus cher qu'à Paris !
Et le marché de l'emploi fonctionnant de manière bien plus fluide en Suisse qu'en France, on voit mal des français avides de Suisse au point de "piquer leur job" aux citoyens de la Confédération, tout ceci pour disposer d'un niveau de vie, dit poliment", pas si avantageux que cela, et de plus vivre un certain nombre d'inconvénients allant des embouteillages du matin et du soir pour accéder par exemple à Genève à une hostilité croissante et parfois non dissimulée de la part de manifestants, de confrères ou collègues. Quant à la totalisation des périodes cotisées en Suisse pour la retraite en France, on ne peut difficilement prétendre qu'il s'agisse d'un avantage, pas plus d'ailleurs que le régime fiscal.
Cantons alémaniques/cantons romands : ce sont les cantons qui ont la présence étrangère la moins importante qui ont voté le plus en faveur du Oui, et inversement. C'est un effet constaté très fréquemment dans bien des états pour tout ce qui concerne les perceptions en matière d'emploi, de sécurité, d'immigration, du lien que certains partis établissent entre ces trois thèmes. La vache Milka n'est pas prête d'avoir mal aux pis parce qu'elle serait moins bien traite par des mains étrangères, qui ne s'installent pas dans les cantons où elle (la vache Milka) "réside".
Et l'impôt suisse : la vision paradisiaque de la CH et de ses cantons est erronée, et la Confédération n'a pas cette dernière décennie ménagé ses efforts vis à vis de l'Europe et des USA pour se doter d'une fiscalité et de conventions bilatérales permettant une application drastique de l'impôt, ce qui constitue, certes sous contrainte, un pas supplémentaire vers l'intégration européenne. Et pour ceux tentés par l'immigration fiscale, ou les fameux exilés fiscaux, la réforme du forfait fiscal dans certains cantons, l'impôt sur la fortune et le barème de l'impôt sur le revenu rend l'opération "rentable" dans un petit nombre de configurations, sans compter la lassitude qu'une vue sur le lac ou les montagnes peut assez rapidement exhaler. Terminons de rassurer les exilés : ils ne seront pas les premiers visés par le résultat de la votation.
Quant aux réactions de ces prochains jours, semaines et mois : celles du président de la CH, M. Didier Burkhaler, dont il faut rappeler le peu de pouvoirs du à la structure fédérale, semble s'indigner quelque peu tout en reconnaissant bien sur la légitimité de cette votation. Tout fildeferiste est tôt ou tard conduit à tomber, d'un côté ou d'un autre, "aidé" en cela par les forces contraires des cantons ayant voté OUI ou NON, et des réactions européennes.
Quant aux réactions européennes, une fois le vent du boulet passé, on voit très difficilement sur le plan économique tant la CH que les états de l'union décider de rompre des équilibres économiques bénéficiant aux deux côtés depuis des décennies. les traités et accords conclus en matière industrielle, commerciale, fiscale et sociale sont essentiels, à moins que la CH n'envisage un destin à l'albanaise, sans accès à la mer, et située au coeur de l'Europe, avec des frontières si utiles tant au pays qu'à ses frontaliers.
Après une première période politique au cours de laquelle bien des excès seront à entendre, tant de la part du parti suisse gagnant de cette votation, qui va trouver dans ce scrutin une occasion inespérée de prospérer, les économistes plus pragmatiques, notamment ceux de la commission européenne et de la CH, porteront au jour un bilan effectué de longue date, qui démontre que les échanges commerciaux, industriels et ... humains ont bénéficié et bénéficieraient aux deux "côtés", dont il convient de rappeler la dissymétrie, la Suisse ne représentant que quelques points de pourcentage du PIB européen. Pour mémoire, la France est au 5ème rang des PIB mondiaux, la Suisse au 20 ème et la proportion est de 5,5 (FR) à 1(CH).
Qui y perdra, Qui y gagnera, on peut déja l'entrevoir. La CH est neutre depuis sa fondation. Sa tentation isolationniste s'est manifestée au cours du XX ème siècle à chaque période de tension et de conflit, comme un indicateur précurseur de crises plus graves. Gageons que cette lecture de la votation de dimanche soit inexacte, et que plus simplement, quelques milliers d'électeurs aient fait pencher la balanche du côté de l'isolationnisme, à un moment où la CH ne peut se permettre de "couper les ponts" avec ses partenaires européens. C'est d'ailleurs ce dont 49% des votes des citoyens de la confédération ont attesté, malgré 51% qui ont en conscience voté plus en fonction de projections incertaines, parfois même de craintes infondées et de fantasmes que de la réalité du pays, dont le taux de chômage reste très contenu.
Sur le plan micro-économique, Intelfi répond aussi par la présente à ses clients ayant prévu d'aller prochainement s'installer en CH pour y travailler, et qui sont légitimement inquiets du résultats de la votation de dimanche, pour certains hésitant même à donner suite à leur projet lorsque cela est encore possible, c'est à dire à ne plus démissionner voire reprendre une démission récemment donnée. Le cabinet est évidemment à leur disposition et suit cette actualité.
A suivre donc,
Jacques-Olivier Meyer, +33(0)1.47.56.11.81 - jomeyer(at)intelfi.com