Ouvrage lu durant le récent week-end de Pâques dans une double perspective.
1/ continuer de lire 25 ouvrages clé par an, "bon an/mal an" (parfois difficiles à choisir parmi les très nombreuses publications et leurs promotions +/- intenses, même si ça n'est pas du "Katherine Pancol" qui constitue une lecture de vacances distrayante, pour les CSP et CSP+, plutôt aimablement croquées, sans cruauté particulière, avec même parfois une certaine ... complaisance, qui peut devenir du voyeurisme pour les lectrices hors cibles, car je continue de penser que ce lectorat est féminin dans ... une proportion supérieure de 50% au poids démographique des femmes dans la société française ...mais tout ceci n'est ni passionnant, ni d'un apport quelconque au sujet, c'est même un très beau H.S.On évitera les 50 nuances de gris (dans le texte) que je n'ai pas lues et dont la qualité littéraire est décrite comme étant ... très moyenne.
2/ participer modestement à la classe prépa HEC de ma fille qui me "sous-traite" quelques "fiches de lecture" que je travaille avec opiniâtreté, et qui me permettent de conserver une synthèse bien utile des ouvrages lus pour les reprendre quelques mois/années plus tard au gré des évènements et de l'actualité internationale.
Sur ce second point, ma première réaction à cet engagement dont je dois préciser que je fus l'offreur et qu'aucune demande n'avait été formulée par l'intéressée dans ce sens, fût de me reprocher de m'être par principe collé dans une telle obligation; sentiment rapidement refoulé à la lecture des deux premires ouvrages que j'avais la liberté de proposer et qui ont été accepté par la "donneuse d'ordres".
Oui c'est une manière intéressante de compléter des journées déjà bien remplies au sein d'Intelfi et au profit de ses clients, oui cela fait fonctionner mes neurones et synapses d'une manière plus estudiantine que professionnelle, que je ne retrouve d'ailleurs pas en tant que prof au Celsa depuis que la formation des classes de Master II en RH internationales dont je suis responsable sont devenues des formations continues d'adultes, réforme de l'université et autonomie financière de celle-ci le nécessitant (plus ou moins, on en reparlera).
Pour débuter à la française, c'est-à-dire par une critique, tout est bon dans ce livre, sauf la banalité de son titre, qui rappelle pour les plus de 40 ans le fameux livre commis par Alain Peyrefitte, intitulé "Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera". Ce livre fut publié en 1975 et son titre était issu d'une citation de Napoléon, prononcée à Saint-Hélène vers 1816, en réaction à la lecture des "Souvenirs d'un voyage en Chine" de l'Ambassadeur britannique en Chine, S.E. Mac Cartney.
Pascal Lamy, lors de sa présence en France, enchaîna certains jours jusqu'à 4 interventions tant la demande était forte de la part d'institutions publiques ou para-publiques, d'associations d'anciens élèves de grandes écoles, de cercles de réflexion, de groupes d'influence. J'ai eu la chance d'assister à une conférence de l'auteur sur son livre il y a une quinzaine. Il ne fut pas avare ni d'explications sur ses motivations d'auteur, ni sur son parcours ou ses réponses aux très nombreuses questions. Ce fut une grande chance que de participer à cette conférence, que je classe dans les 3 meilleures depuis 12 mois, sur un échantillon annuel moyen de 130 ateliers et conférences auxquels je participe (hors organisation, interventions perso.)
Et bien "Quand la France s'éveillera", le monde ne tremblera pas plus que depuis que la Chine s'est éveillée ... Pascal Lamy dresse un inventaire sans oubli des atouts, richesses, créativités diverses, freins et faiblesses de la France en Europe et dans le Monde, et ces apports sont légitimés par ses fonctions successives de Commissaire Européen chargé du Commerce (1994-2004) auquel ont fait suite 2 mandats en tant que Directeur Général de l'OMC/WTO.
Plutôt positionné à gauche par la presse qui rappelle à satiété ses liens avec Jacques Delors (qui est tout de même "rangé des voitures" opérationnelles depuis 15 bonnes années et pas spécialement écouté par le Président de la République actuel) et des prises de position passées voire dépassées de son propre aveu, on ne peut prétendre que ce livre exprime une quelconque complaisance à l'endroit des gouvernements au travail en France, qu'il s'agisse de celui actuellement à la tâche ou de ses prédécesseurs de droite comme de gauche. C'est un vrai propos d'économiste opérationnel et si la politique est sous-jacente, ça n'est ni au service d'ambitions personnelles, ni pour favoriser tel(s) ou tel(s) dirigeants du pays depuis une décennie, au contraire.
Le style est vif, précis, sans adjectifs inutiles ni longueurs épuisantes. On comprend tout, et une seconde lecture permet d'accéder, avec mon profil bien plus analytique et synthétique, à une finesse pas entièrement saisie lors de la 1ère lecture.
Qu'il s'agisse des principales options de politique économique et de leurs responsables, du pouvoir réel des institutions européennes par rapport au pouvoir tel qu'il est exercé par les institutions françaises, de la subsidiarité, Pascal Lamy s'exprime sans aménité ni complaisance, et pose un diagnostic qui pourrait vulgairement tenir dans la phrase suivante "A force de regarder passer les trains de la reprise et de la relance, à force d'opérer des demi-choix, de manquer de courage, nos dirigeants qui se sont succédés au cours des mandatures de ces dix dernières années partagent cette caractéristique de mettre en oeuvre des politiques nous guidant du "mauvais côté de l'Europe", celle des "mauvais élèves", ceux qu'on appela un temps élégamment les "PIGS..."plutôt que d'aller vers l'est et le nord. En passant, le fameux modèle scandinave, voire suédois, en prend pour son grade; Il fait pour une fois l'objet d'une analyse (c'est très rare) qui tranche avec le constat habituel dressé en France (mais comment font-ils, eux, pour rendre des prélèvements obligatoires au moins aussi élevés qu'en France efficaces ? Oui mais ce sont de petits états incomparablement moins ... tout ce que vous voulez que la France etc ...)
Faisant suite à ce constat assez lapidaire, qu'entre nous, il n'est pas nécessaire d'exprimer ni de valider par un parcours universitaire et professionnel tel que le sien, font suite une série de prescriptions/préconisations qui constituent le "noyau dur" de l'ouvrage, et qui en résumé, sont d'une justesse que je trouve sans défaut, y compris lorsqu'il s'agit de souligner les insuffisances des uns ou des autres.
C'est ici qu'on regrette un niveau de formation en économie de nos concitoyens faible à nul, et l'enseignement de l'économie dans le secondaire, qui nécessite des choix cornéliens, aujourd'hui plus orienté vers l'histoire de la pensée économique" mâtinée de quelques concepts macro-économiques (inflation, chômage, croissance, déflation, désinflation, politique monétaire ...) que vers l'actualité à moyen terme, l'entreprise et les évènements que chacun peut observer au journal de 20h00. En ceci, ce qui se passe pour Alstom aujourd'hui constituerait un cas d'école remarquable pour améliorer la compréhension par les salariés de demain des phénomènes et artefacts économiques puis sociaux de nos économies. Changer d'enseignement, de sujets et de manières répondrait au besoin de vitesse et de rythme des consommateurs d'actualité que sont notamment les adolescents scolarisés en secondaire ou jeunes adultes en prépa ou à l'université. On ne manque pas de vrai sujets, aisément transformables en cas d'école, et que chacun peut valoriser médiatiquement parlant (prenons au hasard le cas ALSTOM), qu'on choisisse le format d'épisodes "24 heures", "Les Experts" ...chacun complètera selon son format préféré.
Pascal Lamy ne peut, pas plus que 99% des dirigeants et responsables français, se résoudre à ce que le pays se désindustrialise, ne devienne qu'un lieu de tourisme et d'acquisition de biens de luxe parfois fabriqués dans le pays d'origine des touristes visitant la pays/sa capitale, et pour le pire côté, l'image saucisson/béret/vin rouge/et baguette de pain sous le bras.
Evidemment averti des dangers létaux des différentes formes de protectionnismes déguisé ou franc, il dresse alors une "feuille de route", véritable inventaire des objectifs de reconquête afin que le regard de l'Europe et du monde sur la France change, d'abord dans le sens d'une confiance accrue dans un état perçu comme le champion du monde des prélèvements obligatoires, des frottements inertiels, d'une redistribution au mieux peu efficace, au pire injuste et parfois aberrante, et de la ... dépression généralisée. Il formule le postulat que cette nouvelle confiance devrait nécessiarement précéder tout programme d'action tel que celui qu'il envisage et nous livre.
Viennent ensuite une série de recommandations tournées vers l'action, mais qui ne seront supprtables par les citoyens et "portables" par leurs prescripteurs, les politiques, que lorsque ce travail de crédibilisation aura été fait.
Je n'en dis pas plus car ce plaidoyer pour la France et l'amélioration de son positionnement et de sa crédibilité dans la concurrence européenne et mondiale est juste, frappant, fin, et ne se cantonne pas au constat, ni à la défense d'une ligne politique, quelle qu'elle soit. C'est tout le contraire et c'est rarissime; on n'ose imaginer que cette clarté trouve son unique source dans sa décennie et demi passée hors de France dans ces responsabilités de tout premier plan. C'est en tout cas un cours "magistral" de ce qu'on nommerait dans l'entreprise le courage managérial, et dans le monde politique l'intérêt général dans le cas présent recommandé vivement comme devant précéder les ambitions personnelles.
Pour celles et ceux qui souhaiteraient mettre en commun une base de lectures "prépa", échanger sur le sujet, ou trouver toute forme de collaboration sur ces thèmes qui ne sont pas nécessairement inclus dans leurs programmes professionnels, mais qui gagneraient à l'être, voici le processus suivi, totalement empirique et qui correspond à la méthode que j'utilisai dans une situation analogue il y a quelques décennies.
Ma lecture fut accompagnée d'abord d'une prise de notes sur une fiche séparée, puis ensuite au crayon noir 2H directement sur le livre.
Ca ne se fait pas mais c'est encore pour un ouvrage m'appartenant le moyen le plus sur de s'y retrouver, tant ce livre se conservera bien, et l'on se prend à souhaiter que son auteur accède à des fonctions de décision dans lesquelles il pourrait mettre en oeuvre non pas ses préconisations mais son regard de responsable d'institutions européenne puis mondiale, contre-carrant ainsi l'un des défauts majeurs de nos politiques constitué par leur manque d'expérience internationale, le président actuel étant plus un homme de terroir(s) qu'un Gulliver, se décrivant d'ailleurs volontiers ainsi, nécessités opérationnelles et légitilité du suffrage universel conduisant parfois à préférer Tulle à Shanghaï ou San Francisco (même si le voyage du PR à la Silicon Valley début 2014 marquait un changement ... dont les effets seront suivis avec attention au cours des prochains ... mois).
Le quinquennat se prête mal à des "voyages découvertes", a fortiori à scooter, moyen de locomotion peu stable et tenant fort mal la route par temps humide, à réserver donc aux déplacements de petite envergure.
Pendant ce temps ci, nos concitoyens sont comme toujours plus préoccupés par leurs cercles concentriques. Ils débutent logiquement à la grille du jardin pour se terminer, selon les désirs de chacun, ... ailleurs et pas toujours très loin. On ne pourrait que le regretter si jamais, cette vision "localo-locale" pouvait alimenter la fameuse dépression française, que Pascal Lamy, sans en parler, délégitime par de simples et efficaces comparaisons avec les nombreux pays moins riches et avantagés que la France. Encore faut-il pour s'en rendre compte dépasser la désormais fameuse grille, qui n'est pas celle du coq !
En résumé, si vous aviez, temps passé pour vous rendre à votre librairie et tailler une bavette avec le libraire inclus, environ 20€ à dépenser, n'hésitez pas à vous procurer "QUAND LA FRANCE S'EVEILLERA", paru en mars 2014, chez ODILE JACOB, 17,90 € si vous avez le choix plutôt chez votre libraire plutôt que dans le "corner culturel" de votre hypermarché (l'ouvrage risque de se bonifier entre vos mains, mieux que coincé et tordu entre 2 bouteilles de Badoit Menthe et 3 boites de Haricots verts). De plus, vous pourrez commencer sa lecture en retrant, quitte à prendre une gamelle mémorable en butant contre un horodateur (Parcmètre).
172 pages couvertures comprises écrites plutôt en police 13 qu'en 10, les presbytes sont reconnaissants à l'éditeur. Et si vous aviez besoin de revenir sur certaines pages en début de chapitre, c'est parfaitement normal, tant la densité de cette écriture nécessite parfois de s'y reprendre afin de ne pas perdre le fil !
Pas de remboursement des insatisfaits, c'est aussi cela, le libéralisme raisonné.
Et je prendrais volontiers le pari que Pascal Lamy n'a pas pour l'instant d'ambition politique à l'échelle française, tant ses propos sont justes, précis et assez inconciliables avec le ou les partis qui seraient susceptibles actuellement de soutenir une candidature de sa part, sauf à opérer une volte-face complète dont la motivation serait injustifiable, au moins pour ses lecteurs et a fortiori pour ceux qui l'auront apprécié, dont vous l'avez je pense compris, je fus.
Jacques-Olivier MEYER, DG INTELFI, 00 33 1 47 56 11 81, jomeyer(at)intelfi.com